Fantômes

Son crâne luisait de soleil et de bonté. Autour de la clairière, des cheveux blancs qui retrouvaient leur ressort dès que mon peigne les libérait. Le geste était lent, saoul des cigales qui sciaient le mois d’août. Papi grognait de plaisir et moi je redoublais de zèle : le petit peigne de corne labourait depuis le front vers la nuque, la peau tendue visible entre les boucles rares, l’homme réduit à sa surface la plus vulnérable, l’enfant maître de son monde. 

Flacky, le gros chien jaune des voisins, essayait de mordre les mouches, puis se rongeait son gros ventre rose pour masquer sa honte de ne pas y arriver.

Avant la pastis et les cacahuètes salées, la tête de Papi se laissait tomber, sa nuque s’allongeait en deux gros rails ridés, je me demandais si c’était cela mourir.

Qui de nous trois—le vieil homme, le chien, ou l’enfant que j’ai été—est le fantôme ?

Les deux autres sont bien morts. Mais elle ? Où s’en est-elle allée ? On parle des membres fantômes des amputés : une jambe, un bras, invisibles preuves d’un corps indivisible. 

Elle a sept ans, huit ans, elle croit dur comme fer à l’éternité juste là, devant la ligne d’horizon et les minuscules voiles blanches, les cigales assourdissantes et secrètes, le souffle mélangé d’un vieil homme qui dort et d’un chien grognon.  

One thought on “Fantômes

  1. Ma Tinou: tu m’as transportée aux Issambres avec toi coiffant les cheveux de Papi. Merci pour cet instant si plein de vie.

Leave a comment